A l’occasion du grand retour de Karim Benzema en bleu, ce mercredi, contre les Pays de Galles, France-Pronos.com a commandé à l’Ifop une enquête évaluant les espoirs mais aussi les craintes suscitées par la sélection d’un joueur dont le talent actuel n’efface pas un passé entaché de nombreuses polémiques. Réalisée auprès d’auprès d’un échantillon national représentatif de 1 500 Français, cette étude montre que si le Madrilène leur apparaît comme un « plus » sur le terrain, il est aussi perçu comme un potentiel facteur de troubles au sein de l’équipe et d’une société française qui désapprouve, sur le principe, la sélection d’un joueur appelé prochainement à comparaître devant la justice, ayant sous-entendu dans le passé que son éviction était raciste ou qui ne chante jamais la Marseillaise avant les matchs.
Benzema : une sélection en bleu qui ne fait autant l’unanimité que celle des « tauliers » de l’équipe
Si le retour de Benzema est salué par un peu plus d’un Français sur deux (58%), la sélection du Madrilène est loin de faire autant l’unanimité que celle des « tauliers » ayant conduit l’attaque des bleus ces dernières années (ex : Mbappé, Griezmann…), y compris celle de ceux aujourd’hui en baisse de régime comme Olivier Giroud (71%).
Malgré un net retour en grâce par rapport au niveau mesuré avant la coupe du monde en Russie (+ 21 points), le madrilène affiche encore une des plus faibles « cotes de popularité » des attaquants sélectionnés cette année : 58%, ce qui le situe au septième rang sur huit en termes d’approbation, juste devant Wissam Ben Yedder. L’envie de le voir défendre le maillot bleu est toutefois bien plus marqué chez les vrais amateurs de foot (79%), beaucoup plus au fait de ses performances en club, signe que le côté strictement sportif prend, chez eux, plus le pas dans leur jugement.
L’ADHÉSION A LA SÉLECTION DES ATTAQUANTS DE L’ÉQUIPE DE FRANCE
Le remplacement de Giroud par Benzema : un choix qui est très loin de faire l’unanimité
Alors que la mise à l’écart de Karim Benzema à partir de 2015 avait permis à Olivier Giroud de s’imposer comme l’avant-centre référence des Bleus, le retour du madrilène au sein l’équipe de France remet en question la place de l’ex-montpelliérain à la pointe de l’attaque tricolore. Or, dans un pays de « 60 millions de sélectionneurs », le remplacement de Giroud par Benzema semble très loin de faire l’unanimité : les Français souhaitant que le poste d’avant-centre des bleus revienne à Giroud étant aussi nombreux (45%) que ceux qui pensent qu’il devrait revenir à Benzema (46%). Chez les amateurs de foot plus au fait du niveau actuel des deux attaquants, le madrilène (62%) devance en revanche très nettement le joueur de Chelsea (35%).
L’analyse des résultats confirme quant à elle que le choix entre ces deux grands « rivaux » du foot français s’avère beaucoup plus fondé sur des considérations extra sportives qu’à la qualité réelle de leur jeu. Présenté par des personnalités influentes sur les réseaux sociaux (ex : Belattar, Booba…) comme la victime d’un racisme lié à ses origines ethniques (« maghrébin ») ou sociales (« jeunes des cités »), le madrilène dispose ainsi d’un soutien massif des minorités – 79% par les musulmans, 59% par les personnes perçues comme « racisées » – et des Français situés à la gauche de la gauche (66% chez les sympathisants LFI). A l’inverse, le choix d’Olivier Giroud est plus porté par les Français d’extrême droite (55% chez les sympathisants RN) et les personnes se percevant « non racisées » (50%).
Dans ce « match » pour la place d’avant-centre, le choix des Français semble s’opérer ainsi beaucoup plus sur des critères « politiques » et « identitaires » que sur des considérations strictement « sportives ».
LE CHOIX DU MEILLEUR AVANT-CENTRE ENTRE O. GIROUD ET K. BENZEMA selon l’intérêt pour le football
Très révélatrice des fractures identitaires actuelles, la profondeur du clivage « Giroud-Benzema » tient probablement à l’image clivée que le madrilène a pu renvoyer ces dernières années. Apparaissant comme un symbole d’une jeunesse des cités discriminée à cause de ses origines, Karim Benzema constitue clairement « une figure d’identification auprès d’une certaine fraction de la jeunesse de cité » qui souffre à la fois d’un sentiment d’exclusion et de discrimination. A l’inverse, pour toute une autre partie de la population, il incarne l’image sociale du « bad boy » qui n’a « pas la légitimité à porter le maillot de l’équipe de France et [à] représenter dignement le pays » (Akim Oualhaci &, Stéphane Beaud, «L’affaire Benzema remise en perspective», La Vie des idées, 8 mars 2016).
LE CHOIX DU MEILLEUR AVANT-CENTRE ENTRE O. GIROUD ET K. BENZEMA selon les caractéristiques politiques, idéologiques et identitaires
3/ Le retour de Benzema, un gage de victoire mais aussi une source potentielle de tensions au sein de l’équipe et de la société française
Il ressort également de l’étude une certaine dualité dans le jugement que les Français portent sur les conséquences possibles de son retour en bleu. Ils sont dans un optique plutôt positive pour ce qui est du côté sportif (62% pensent que cela va augmenter les chances de victoire de l’équipe de France) mais beaucoup plus sceptiques pour son impact en dehors du terrain. Ainsi, une majorité de la population estime que son retour va créer des tensions au sein de l’équipe (51%) et surtout au sein de la société français autour de l’équipe de France (55%).
LA PERCEPTION DES POTENTIELLES CONSÉQUENCES DE LA SÉLECTION DE KARIM BENZEMA
Là encore, cette appréhension sur son impact s’avère largement politisée : 40% des personnes assumant avoir des pensées racistes le suggèrent, contre 27% de ceux n’en ayant jamais. Les sympathisants LFI sont 26% à croire que cela sera le cas, contre deux fois plus de sympathisants RN… Pour ceux qui voient avant tout l’attaquant du Real Madrid comme un jeune imprégné d’une « culture des cités » violente et agressive, il apparaîtrait ainsi comme le parfait futur responsable de problèmes d’ordre extra sportifs.
Un désaveu massif des actions ou déclarations passées du joueur du Réal de Madrid
Si le retour de Karim Benzema est salué par une (courte) majorité de Français, ce n’est pas pour autant qu’ils approuvent la présence chez les bleus d’un joueur ayant pu tenir ses propos ces dernières années. En effet, lorsqu’on leur demande – sans leur préciser que Karim Benzema en était l’auteur – leur point de vue sur les comportements ou les déclarations qu’il a pu faire, ils les condamnent massivement.
Ainsi, une très large majorité de Français (80% chez ceux ayant une opinion sur le sujet) désapprouve la présence en bleu d’un joueur qui a déclaré que Didier Deschamps avait « cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en refusant de le sélectionner dans l’équipe, qui a dit que son choix pour l’équipe de France était plus un choix sportif qu’un choix du cœur (81%) ou qui déclaré qu’on ne pouvait le comparer à Olivier Giroud car il ne fallait pas confondre une « formule 1 » et un « karting » (82%).
Mais au-delà du passé, il important de signaler que l’opinion publique condamne fortement (79%) la présence en bleu d’un joueur appelé prochainement à comparaître devant la justice pour « complicité de tentative de chantage » envers un de ses co-équipiers. Le revirement de la position de Didier Deschamps sur le sujet n’est donc pas approuvé quand on rappelle aux Français toutes les actions ou déclarations passées du joueur…
L’OPINION SUR LES DÉCLARATIONS OU COMPORTEMENTS PASSÉS DE KARIM BENZEMA
Enfin, 82% des Français (ayant un avis sur le sujet) estiment qu’un joueur qui ne chante pas la Marseillaise ne devrait pas être sélectionné, ce qui pose problème quand on sait que le madrilène ne l’a jamais chanté…
Les Français souhaitent que Karim Benzema, comme les autres joueurs sélectionnés en équipe de France, chante l’hymne national avant les matchs
À ce propos, 83% des Français souhaitent que l’on exige désormais des joueurs sélectionnés en équipe de France de chanter la marseillaise avant les matchs. Certes, la question de l’hymne, qui a été portée dans l’espace public par Jean-Marie Le Pen en 1996, est soutenue plus à la droite de la droite (91%%chez les sympathisants RN) qu’à la gauche de la gauche (74% chez les sympathisants LFI). Mais cette exigence est majoritaire dans toutes les catégories de population, y compris chez les minorités ethniques ou religieuses.
Pour les Français, le choix de la présence de Karim Benzema dans l’équipe, et le jugement sur ses déclarations passées, reposent donc moins sur son niveau de jeu que sur des ressorts d’ordre politique, voire identitaire au regard des puissants clivages ethniques et culturels qu’ils mettent en exergue. Constituant pour une part de la société un symbole de cette France issue de l’immigration et vivant dans les quartiers populaires, ce joueur génère des réactions en cela très révélatrices du « malaise sociétal » français.